Délibération partagée ?
L’idée de faire des choix politiques en commun se trouve vite face à plusieurs questions.
Comment on trouve une forme de consensus ?
L’expertise qui vient valider une décision prise en amont.
Comment faire commun sans perdre son idée de départ ?
Comment faire une délibération équitable dans le sens commun ?
Dans l’état de France, la délibération se règle ainsi: Le conseil Municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune (art L2121-29 du CGCT*). – Il exerce ses compétences en adoptant les délibérations à la majorité. … – Le Maire doit rendre compte des décisions à chaque réunion obligatoire du Conseil Municipal (art L2122-23 du CGCT). Pour mieux comprendre la notion de la délibération, nous exagérons son développement philosophique à travers le temps.
La mise en place de la délibération à travers l’histoire plus contemporaine (18ème siècle)
« Volonté générale ou délibération. Esquisse d’une théorie générale de la délibération politique », Bernard Manin, dans Le Débat no 33, 1985.
La délibération apparaît avec une grande clarté chez Rousseau et se manifeste en particulier dans le sens qu’il le donne. La tradition philosophique, suivant un usage qui remonte à l’aristotélisme, désigne en général par le terme de délibération le processus de formation de la volonté. C’est le moment qui précède le choix et dans lequel l’individu s’interroge sur différentes solutions, avant de se déterminer pour l’une d’entre elles. Or Rousseau utilise le terme de délibération en un autre sens, attesté dans la langue usuelle – celui de décision. On voit la différence qui sépare ces deux acceptions : la délibération désigne dans le vocabulaire philosophique le processus précédant la décision ; elle signifie chez Rousseau la décision elle-même.
Il écrit par exemple : « Il s’ensuit de ce qui précède, que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique : mais il ne s’ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours. Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe ; et c’est alors seulement qu’il paraît vouloir ce qui est mal. » – Rousseau, Du contrat social, Livre II, Ch. III, 1762.
Les « délibérations du peuple » désignent donc les choix qu’il fait, non le processus qui aboutit aux choix ; il n’y aurait aucun sens à dire d’un processus qu’il a ou n’a pas de rectitude. Dans le Discours sur l’économie politique (1755), le terme est employé de la même façon : Rousseau montre en quoi l’existence d’« associations partielles » nuit à la volonté générale ; « telle délibération, écrit-il, peut être avantageuse à la petite communauté et très pernicieuse à la grande », ou encore, un peu plus loin, « Il ne s’ensuit pas pour cela que les délibérations publiques soient toujours équitables. »
Là encore, il est manifeste que la délibération désigne la décision, non le processus qui y conduit. Le terme de délibération pris en ce sens particulier intervient précisément dans les passages dans lesquelles Rousseau condamne ce qui constitue habituellement le support de la discussion publique : les groupes ou les partis qui s’affrontent dans un échange d’arguments.
« Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les Citoyens n’avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne » Rousseau, Du contrat social, Livre II, Ch. III, 1762.
La formule est remarquable, car on y voit à la fois la réduction de la délibération à la décision (seule la décision peut être bonne ou mauvaise dans ce contexte, non le processus de formation de la volonté) et l’exclusion rigoureuse de la communication des citoyens entre eux. La suite du chapitre développe la critique célèbre des « associations partielles » et des partis. L’influence des intérêts particuliers, c’est-à-dire des intérêts de groupes ou de partis, corrompt la volonté générale « … quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir et les petites sociétés à influer sur la grande, l’intérêt commun s’altère et trouve des opposants, l’unanimité ne règne plus dans les voix, la volonté générale n’est plus la volonté de tous, il s’élève des contradictions, des débats et le meilleur avis ne passe point sans disputes ». L’existence des partis n’est d’ailleurs pas seule en cause ici, la simple communication des citoyens entre eux est jugée dangereuse. Quel est donc le risque que Rousseau veut ainsi conjurer ? La réponse se trouve dans le passage du Discours sur L’économie politique que nous citions plus haut. Rousseau veut montrer que la volonté publique est toujours droite, sauf si le peuple est « séduit par des intérêts particuliers, qu’avec du crédit et de l’éloquence quelques adroits sauront substituer aux siens. Alors autre chose sera la délibération publique et autre chose la volonté générale. Qu’on ne m’oppose donc point la démocratie d’Athènes, parce qu’Athènes n’était point en effet une démocratie, mais une aristocratie très tyrannique, gouvernée par des savants et des orateurs ». Ce qu’il faut exclure de la démocratie, ce sont les effets de la rhétorique, c’est la persuasion que certains pourraient exercer sur d’autres.